A propos de la résolution pour le défilé des éléphants du cirque national suisse Knie.*
Pour rappel, cette résolution de l’UDC invite le Conseil d’Etat « à prendre toutes mesures et décisions afin que les sympathique défilé, petit déjeuner et salut des autorités par les éléphants du cirque Knie soient rétablis dès 2011 ».
Le cirque Knie réfute la question financière, évoque l’éléphante fugueuse Sabu et doute de la possibilité du rétablissement de cet évènement dans le futur. Le Matin me dit mal renseignée, à côté de la plaque, mais passe à côté de l’essentiel.
En fait, sécurité et coût son intimement liés et la place de l’éléphant dans les rues de Genève pose la question, plus vaste, de la place que nous sommes prêts à accorder de la nature dans la ville mais surtout dans nos têtes.
Cette question ne date pas d’aujourd’hui. En 1820 déjà, un éléphant devenu furieux dut être abattu d’un coup de canon dans la tête. Le journal de Genève dans son édition du 15 mars 1827, s’émeut du sort d’un éléphant arrivé à cette période de l’année en espérant qu’il n’aura pas la même destinée que celui qui se trouve alors au musée d’histoire naturelle (abattu en 1820). En 1837, survint un évènement semblable, « miss Djeck » qu’on exhibait depuis le mois de mars, donna des signes d’agitation et fut amenée dans les fossés de Rive avant d’être abattue trois mois plus tard d’un coup de canon, elle aussi. (Source : Musée militaire genevois)
Jusqu’à ce que James Fazy les fasse tomber au 19e siècle, les anciennes fortifications de Genève démarquaient l’espace de l’Homme, civilisé et sûr, de celui d’une nature sauvage et crainte. Cette frontière abolie, l’Homme s’est approprié tout l’espace. N’est-il pas en train de créer de nouvelles barrières, mentales cette fois, entre la nature qu’il idéalise et prétend aimer, bien souvent virtuelle, et celle qu’il tolère effectivement dans son quotidien, réduite à une chien, docile, tenu en laisse (sans crottes s’il vous plait…) et aux arbres, mobilier urbain que l’on change au gré des visions urbanistiques ?
Mais notre propre animalité s’accommode mal de notre quête d’humanité. Un éléphant dans la ville nous confronte à nous-mêmes, à la crainte mêlée de désir, au pincement d’adrénaline, à l’émotion intense qui pimente la vie rencontrée pour de vrai. « Là où il y a les éléphants, il y a la liberté … » (Romain Gary, Les racines du ciel).
L’échappée inattendue de l’éléphant Sabu, dans la Banhofstrasse en est l’exemple parfait. Bestial ! On adore, on a peur, on en reveut, mais sans les risques. Merci au propriétaire d’assurer la sécurité et d’en assumer le coût. Le cirque Knie aura-t-il encore les moyens d’assurer à la fois le spectacle impromptu et le coût de la sécurité que nous exigeons aujourd’hui pour qu’un élément de nature exotique vienne titiller notre quotidien ?
A nous de savoir quelle rencontre avec la nature nous privilégierons pour nos enfants, celle du steak dans l’assiette, celle du vivant dans la savane ou, plus à la portée de tous, celle de l’éléphant dans nos rues une fois l’an ?
*R636 Pour le défilé des éléphants, Débat et adoption le 9 juin 2011, Réponse du Conseil d’Etat 13 septembre 2011/ Résolution adoptée le 14 octobre 2011
19.9.2010
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